Monday 12 January 2009

Pas d’exception de copie privée pour le «magnétoscope numérique online»

Commentaire TGI de Paris (ord. réf.) 6 août 2008, Métropole Télévision et a. c/ Wizzgo

Publié dans LÉGIPRESSE N° 256 - Novembre2008



Dans l’environnement analogique, la question de la licéité des magnétoscopes s’était posée aux Etats-Unis dans l’affaire Betamax (District Central de Californie, 2 octobre 1979, et Cour Suprême des Etats-Unis, 1984, Walt Disney c./ Sony Corp., 464 US 417 - v. V. Nabhan, «Quelques aspects des problèmes juridiques posés par la reproduction : L’affaire Betamax», RIDA av. 1981, n° 108, 3). Selon les sociétés Universal City Studios et Walt Disney, les enregistrements de programmes télévisuels effectués par un particulier dans son domicile privé constituaient des actes de contrefaçon directe, et le fabricant des appareils Betamax commettait donc des actes de contrefaçon indirects (contributory infringement). Les magnétoscopes avaient été jugés licites notamment parce qu’ils étaient largement utilisés par le public afin de visionner les programmes de télévision à un moment différé (time-shifting), ce qui accroît l’audience des titulaires de droits sans leur nuire.

En mai 2008, la société Wizzgo a lancé un service appelé «magnétoscope numérique online», qu’elle décrit sur son site comme un logiciel qui, une fois téléchargé, «permet d’enregistrer gratuitement les programmes TV de la TNT (Télévision numérique terrestre), via internet» (www.wizzgo.com). Wizzgo présente à l’utilisateur un guide de programmes personnalisable ; l’utilisateur choisit les programmes et Wizzgo procède à l’enregistrement intégral du programme commandé et met l’enregistrement à disposition de l’utilisateur via internet une heure après la fin de la diffusion. L’utilisateur peut ensuite conserver et visionner le fichier transmis autant de fois qu’il le souhaite et ce sur tous supports numériques. Ce que propose Wizzgo n’est donc pas un simple magnétoscope numérique, mais un véritable service de copie.

Les sociétés Métropole Télévision et EDI TV, qui exploitent les chaînes de télévision M6 et W9, accessibles en particulier par la TNT, et la société M6 Web, laquelle exploite un service gratuit dit de télévision de rattrapage accessible une heure après la diffusion d’un programme sur internet pendant un délai de un à quinze jours, ont introduit une action en référé devant le Tribunal de grande instance de Paris. Selon les demanderesses, le service porte atteinte aux droits qu’elles disposent sur les œuvres et programmes qu’elles produisent. Elles ont formé des demandes de mesures d’interdiction, de communication de pièces destinées à établir le préjudice et d’indemnisations provisionnelles.

La défense de la société Wizzgo est principalement fondée sur la «neutralité» de son système, qui ne serait qu’une plate-forme technologique mise à la disposition des utilisateurs, «un service gratuit de magnétoscope numérique permettant l’enregistrement des programmes des chaînes gratuites de la TNT». Selon elle, dans la mesure où la fonctionnalité offerte à l’utilisateur consiste en la programmation à distance de ses enregistrements, et où l’enregistrement est intégral (incluant génériques et coupures publicitaires), la copie est faite chez le particulier pour son usage privé, comme avec un magnétoscope classique. Son intervention se limiterait donc à la mise à disposition d’une plate-forme technologique qui génère, du côté de Wizzgo, une simple copie transitoire conforme aux prévisions de l’article L. 122-5 6° CPI, et, du côté de l’utilisateur, une copie privée autorisée par l’article L. 122-5 2° CPI.

L’ordonnance de référé du 6 août 2008, qui relève que le service en cause se caractérise par une activité éludant toute rétribution des droits de propriété intellectuelle et qui se rémunère sur la publicité, procède à une analyse essentiellement économique du service pour rejeter les principaux arguments de Wizzgo.

Selon l’ordonnance, l’exception de copie privée, dérogatoire au droit de reproduction, et donc d’interprétation stricte, est par définition sans valeur économique. Or, le service n’est pas «de l’ordre du don» mais bien économique. La décision précise qu’il est interdit de «s’approprier une richesse économique à partir d’un service de copie d’œuvres ou de programmes audiovisuels qui se soustrait à la rémunération des titulaires des droits de propriété intellectuelle». L’exception de copie privée n’est donc pas applicable, et le service est ainsi manifestement illicite.

Pour autant, la gratuité, ou l’absence de profit, n’est pas une condition directement posée par l’article 122-5 2° CPI, qui dispose que l’auteur ne peut interdire «les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privée du copiste et non destinées à une utilisation collective». C’est cette exigence simple d’unicité de personne entre le «copiste» et l’utilisateur qui prend selon nous tout son sens dans la présente décision, tant il semble évident que cette condition n’est pas remplie.

En ce sens, les demanderesses ont fait valoir la jurisprudence établie en matière d’officines de reprographie et de magasins de duplication de CD. La Cour de cassation, dans l’affaire Rannou-Graphie, avait estimé que le copiste économique est celui qui, détenant le matériel nécessaire à la confection des copies, «exploite ce matériel en le mettant à la disposition de ses clients» (Cass. 1re civ., 7 mars 1984, RIDA n° 121, 151) ; le copiste économique (le magasin) et l’utilisateur de la copie (le client) n’étant pas la même personne, les conditions de l’exception n’étaient pas remplies (A. Lucas, «Le droit d’auteur français à l’épreuve de la reprographie», JCP 1990, I, n° 13, 3448). Plusieurs décisions ont, à la suite de Rannou-Graphie, clarifié la notion de « copiste économique » (P. Masseron, «Le droit de reproduction par reprographie appliqué aux copies-services et aux entreprises de reprographie», Legipresse n° 161, II, 59), en précisant qu’il ne peut y avoir copie privée en cas d’usage commercial (CA Toulouse, 20 mai 1997, RIDA n° 175, 323 et CA Paris, 25 juin 1997, D. Aff. 1997, n° 29, chr. 936. TGI Valence, 2 juil. 1999, RIDA n° 183 ; TGI Clermont-Ferrand, 27 oct. 1999, Legipresse n° 168, 8. Cf. également TGI Montpellier, 24 septembre 1999, Legipresse n° 169, I, 24, condamnant au titre de la contrefaçon la reproduction d’œuvres en format MP3 circulant illégalement sur internet aux fins de graver et de commercialiser des compilations sur CD Rom). Le Cour d’appel de Grenoble a ainsi estimé que l’article L. 122-5 2° exige que «le copiste réalisant matériellement la copie avec du matériel dont il a la possession juridique et matérielle chez lui et l’utilisateur futur soient une seule et même personne physique» (CA Grenoble, 18 janvier 2001, RIDA n° 189, 366, note A. Kéréver ). Une telle définition a semble-t-il le mérite de ne pas condamner les magnétoscopes numériques programmables que l’on trouve actuellement dans les foyers français.

On peut cependant considérer que le juge des référés, qui concède que le service litigieux «suppose l’utilisation coordonnée des moyens techniques de la société et de l’utilisateur», définit indirectement Wizzgo comme le copiste économique, à travers l’analyse des aspects économiques de son activité. En tout état de cause, c’est essentiellement l’absence de «neutralité» qui semble le mieux caractériser ce service dit de magnétoscope numérique en ligne, qui n’est précisément pas un simple magnétoscope mais un véritable service de copie à distance, le prestataire agissant comme le copiste économique.

Par ailleurs, l’argument fondé sur l’article L. 122-5 6° CPI pouvait difficilement être reçu. Cet article, qui résulte de la transposition de l’article 5 de la directive du 22 mai 2001 sur le droit d’auteur dans la société de l’information, prévoit en effet que constitue une exception au droit d’auteur «La reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu’elle est une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et qu’elle a pour unique objet de permettre l’utilisation licite de l’œuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d’un réseau faisant appel à un intermédiaire ; toutefois, cette reproduction provisoire (…) ne doit pas avoir de valeur économique propre». Il résulte de la présentation que fait Wizzgo de son service que la reproduction réalisée n’est pas provisoire, et ce même en se plaçant artificiellement uniquement du côté du prestataire, puisque ce dernier réalise une copie qu’il envoie dans un fichier crypté par internet à l’utilisateur, qui peut ensuite conserver et lire ce fichier sur tous formats numériques. En outre, le service a bien une valeur économique, ainsi que cela est souligné par l’ordonnance. Enfin, l’objet unique de l’utilisation n’est pas licite, puisque l’exception de copie privée est écartée.



BRAD SPITZ
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